Abderrazak El Albani : "Emergence de la vie multicellulaire et dynamique de l'oxygène sur terre : un nouveau chapitre de l'histoire de la vie, vieux de 2.1 milliards d'années"

Événement passé
22 novembre 2016
16h

Séminaire du LHyGeS le mardi 22 novembre à 16h.

Intervenant : Prof. A. El Albani, Université de Poitiers, UFR SFA, Institut  IC2MP, UMR 7285 (HydrASA)

Titre  : "Emergence de la vie multicellulaire et dynamique de l'oxygène sur terre : un nouveau chapitre de l'histoire de la vie, vieux de 2.1 milliards d'années".

Lieu : EOST, 1 rue Blessig, Amphi. 2

Résumé :
L'histoire de la vie entre sa première apparition, il y a environ trois milliards et demi d'années (époque archéenne), et "l'explosion cambrienne", autour de 600 millions d'années, est très peu connue. Mais c'est au cours de cette période, appelée Protérozoïque, que la vie se diversifie: aux micro-organismes unicellulaires ayant une simple membrane mais privés de noyau - les procaryotes - s'ajoutent les eucaryotes, organismes uni- ou pluricellulaires à organisation et métabolisme plus complexes et de plus grande taille, caractérisés par des cellules qui, comme les nôtres, possèdent un noyau contenant l'ADN.
Cette phase extraordinaire de l'histoire de la vie de notre planète, qui passionne tant géologues, biologistes, paléontologues et géochimistes, est malheureusement mal documentée par le registre fossile et l'interprétation de ses rares traces, notamment des niveaux sédimentaires du Mésoprotérozoïque (1,6-1 milliard d'années), est objet depuis toujours de discussions animées entre spécialistes.
    L'équipe internationale coordonnée par A. El Albani, composée d'une vingtaine de chercheurs provenant de seize institutions scientifiques a apporté une contribution majeure à l'histoire de la vie multicellulaire macroscopique, la vieillissant de plusieurs centaines de millions d'années. Les résultats de cette découverte ont été publiés dans plusieurs revues : Nature (2010) ; PNAS (2013, 2016) ; Plos One (2014) ; Scientific Report-Nature Publishing group (2015)...
    Parfaitement préservées dans des sédiments du Gabon vieux de 2,1 milliards d'années (Ga), les chercheurs ont découvert les restes fossiles d'une impressionnante variété d'organismes coloniaux complexes, les plus anciens documentés à ce jour, de formes et de dimensions diverses, atteignant parfois 10-23 centimètres et une densité de plus de 40 spécimens au mètre carré.
    Le site fossilifère gabonais, près de Franceville (d'où le nom "Francevillien" des formations géologiques), a déjà livré plus de 500 spécimens, mais les chercheurs estiment que sa richesse et sa qualité de conservation sont sans précédent. Surpris eux-mêmes par le niveau de complexité biologique atteint dans la phase initiale du Protérozoïque, appelée Paléoprotérozoïque (entre 2,5 e 1,6 milliard d'années), les chercheurs ont soumis les spécimens aux analyses les plus sophistiquées pour comprendre au mieux leur nature et reconstruire leur milieu de vie. Grâce à l'utilisation d'un type particulier de scanner tridimensionnel à haute résolution (microtomographe) disponible à l'Université de Poitiers, les chercheurs ont pu réaliser une exploration virtuelle des échantillons et apprécier le degré d'organisation interne dans les moindres détails, sans en compromettre l'intégrité. Une sonde ionique capable de mesurer le contenu des isotopes du soufre a permis de cartographier précisément la distribution relative de la matière organique qui constituait le substrat flexible de l'organisme original et qui s'est transformée en pyrite au cours de la fossilisation, et de la différencier du sédiment environnant.
    Outre les résultats des analyses minéralogiques et géochimiques (isotopes du soufre et géochimie du fer?), l'étude des figures et des structures sédimentaires a révélé que les macro-organismes du Gabon, ayant subi une fossilisation rapide dans des conditions rarement aussi favorables, vivaient dans un environnement marin d'eaux oxygénées peu profondes, souvent calmes mais périodiquement soumises à l'influence conjuguée des marées, des vagues et des tempêtes. Pour se développer et se différencier à un niveau jamais atteint auparavant, ces formes ont effectivement profité d'une phase temporaire d'augmentation significative de la concentration en oxygène dans l'atmosphère, qui s'est produite entre 2,45 et 2,32 milliards d'années.
En effet vers 2,4 milliards d'années, la concentration en oxygène dans l'atmosphère se met à augmenter pour atteindre un pic vers 2,1 milliards d'années. Ce taux de concentration est très inférieur à celui que nous connaissons aujourd'hui mais il est suffisant pour que l'oxygène se diffuse dans l'hydrosphère, jusqu'à 30 à 40 m de profondeur. Puis l'oxygène va brusquement chuter vers 1,9 milliard d'années, jusque vers 670 millions d'années. C'est une « période noire » en terme de registres fossiles pour les paléontologues. Viendra ensuite l'explosion des formes de vie au Cambrien.
    Mais par la suite, comme il est récurrent dans l'histoire de notre planète, les conditions de l'océan primitif devinrent moins favorables aux organismes à métabolisme complexe. Il faudra donc attendre le début du Cambrien, plus d'un milliard d'années après, pour assister à une nouvelle phase significative de diversification et expansion de la vie ("l'explosion cambrienne"), à moins de nouvelles découvertes extraordinaires comme celles du Gabon.
    Jusqu'à présent, on retenait qu'avant deux milliards d'années la Terre était peuplée uniquement de microbes. Mais les fossiles du Gabon montrent que quelque chose de radicalement nouveau survint à cette époque: des cellules avaient commencé à coopérer pour former des unités plus complexes et plus grandes. A partir de ce moment, la voie s'est ouverte à de nouvelles expériences évolutives qui transformeront la biosphère en l'enrichissant d'organismes qui jouent encore aujourd'hui un rôle majeur dans la biodiversité.